Game Design - Garder les joueurs et joueuses
-comment Pokémon essaye d’adapter sa conception pour garder une base de joueurs et joueuses qui grandissent-
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Les jeux Pokémon ont fait le choix de maintenir un taux élevé de production et de sorties pour garder une présence forte sur le marché, multipliant ainsi les créations de nouveaux contenus, entraînant des ventes de goodies constantes et renouvelant le vivier d’expériences et de collaborations pour de nouveaux styles. Mais le genre principal, le jeu de capture de monstres à l’origine du succès, a lui aussi été maintenu régulièrement en production, amenant de l’innovation au fur et à mesure.
Le choix de maintenir une politique de “jeux pour enfants” couplé au succès grandissant et aux attentes du public a mis Game Freak dans une position nouvelle et jusqu’alors inconnue. Comment peuvent-ils continuer à faire le même jeu pour que chaque génération d’enfant ai le plaisir de le découvrir, mais garder tout de même leurs joueurs et joueuses qui grandissent ? Comment conquérir de nouveaux clients et nouvelles clientes et garder aussi les anciens et anciennes qui payent leur nouvel opus quasiment chaque année ?
1. Ramener de vieux souvenirs
La réalisation de la seconde génération de jeux (Or, Argent & Cristal) a trahi la première ambition, la première tentative. Comme si révéler un tout nouveau Pokédex ainsi que la toute nouvelle région de Johto n’était pas suffisant, Game Freak a savamment attaché ce nouveau monde à l’ancien. Un lien a été créé entre les régions de Kanto (1ère génération) et Johto (2nde génération).
La Nostaglie est certainement un très bon levier pour ancrer les joueurs et joueuses dans un environnement bien connu et confortable, mais voyager dans la même région encore et encore finirait forcément par lasser les gens. Cette façon de construire le monde qui pouvait assez inciter les joueurs et joueuses à chercher les petits détails qui auraient changés et les évolutions de l’environnement ne pouvait pas être reproduite pour plus d’une génération.
C’est pourquoi, dans les générations suivantes, seule une sélection des précédents Pokémon deviendrait disponible dans les nouveaux jeux, avec pour but de distiller ces petites doses de nostalgie nécessaires, et ainsi justifier leur sollicitation sur la scène compétitive dans le mode Combat entre Joueurs (et Joueuses) années après années.
Et d’ailleurs, imaginez avoir des outils pour garder vos plus chers Pokémons avec vous à travers les générations… peut-être en payant quelques dollars en plus ?
2. De nouvelles astuces
Avoir une base de joueurs et joueuses qui grandissent est aussi un synonyme d’innovation, ou au moins de la nécessité de pouvoir offrir de nouveaux moyens de renouveler les mécaniques de jeu existantes. Il semble plus difficile pour les gens d’acheter le même jeu année après année sans la promesse d’un renouvellement de gameplay.
Méga-Évolutions, Capacités Z, Dynamax, Gigantamax sont maintenant bien connues, et avec elles aujourd’hui la Téracristallisation. Mais l’une dans l’autre, elles sont plus ou moins construites de la même façon. C’est toujours une amélioration pour certains Pokémons choisis à travers d’un mouvement ou d’une forme spéciaux et temporaires leur permettant une maîtrise et un dépassement de soi en accédant à un genre de nouvelle énergie déchaînée.
Même si la Méga-Évolution a donné un nouveau souffle à la volonté de combat des joueurs et joueuses, ce genre d’astuces utilisées de façon répétitive semble manquer de nouveauté au fur et à mesure des générations, ou au moins c’est ce qui se dit dans les communautés de nos jours. Sans intérêt particulier ni équilibrage pour les formats de Combats entre Joueurs (et Joueuses), il se pourrait que ce soit un fil sur lequel on a déjà trop tiré, trop fort.
3. Théorie de l’évolution rationnelle
Les formes de Galar, d’Hisui, d’Alola et maintenant de Paldea ont été une addition géniale au bestiaire général.
Ayant commencé comme un autre point de vue, plus contemporain, des évolutions basées sur la localisation et l’adaptation dans le temps aux contraintes d’environnements plus durs, c’est désormais devenu un moyen de montrer d’anciennes versions de Pokémons déjà populaires adaptées à leur climat et de les ramener sur le devant de la scène.
4. Développer un goût pour la collection
Il faut dire la vérité, quelque chose d’inhérent au genre Capture de Monstre, c’est de toute évidence d’attraper beaucoup de monstres. De ce côté, Pokémon a non seulement bien réussi le coup avec les 151 créatures de la première génération et l’ajout de nouvelles créatures à chaque génération, mais ils ont également déployé des efforts supplémentaires pour développer de nouvelles façon de chatouiller les esprits complétionistes.
Débutant directement avec la 2nde Génération, la chasse aux pokémons chromatiques (shiny) a été implémentée comme une petite surprise pour les joueurs et joueuses. À l’époque, en 2009, les réseaux sociaux et les spoilers n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Une vaste majorité des gens ont acheté le second opus de la franchise parce qu’ils et elles ont aimé le premier et voulaient donc côtoyer davantage de créatures. Ils ne savaient pas, à ce moment-là, que Game Freak leur avait donné une nouvelle fonctionnalité dont il faudrait se soucier.
Conçu pour l’addition de nouvelles couleurs dans les jeux, escortant l’essor de la nouvelle Gameboy Color, la chasse était en passe de devenir encore plus intéressante. Puisque les modèles 2D allaient pouvoir revêtir leur plus bel aspect, de nouveaux monstres plus rares allaient se vêtir de couleurs alternatives. Les Pokémons Chromatiques (shiny) étaient nés.
Avec un taux d’apparition de seulement 1/8192, les chromatiques n’étaient même pas vraiment connus de la plupart des joueurs et joueuses, à l’exception du Léviator Chromatique montré au Lac Colère, justement placé ici pour introduire cette nouvelle fonctionnalité aux gens, mais souvent juste confondu avec une exception, une confusion probablement née du contexte très spécial et de l’histoire présentée aux joueurs et joueuses qui le rencontraient.
J’exprime rarement des informations personnelles dans mes articles, mais celle-là est plutôt mignonne : je me rappelle, quand j’avais 11 ans, jouer pendant des heures sur ma Gameboy Advance et rencontrer un Ponyta chromatique au pied du Mont Argent, alors que je faisais monter mes Pokémons de niveaux dans l’optique du combat final. J’ai pensé que c’était un bug et avais alors montré mon “Ponyta bugué” à tous les joueurs et toutes les joueuses de Pokémon autour de moi, un peu nerveux à l’idée de savoir si oui ou non il risquait de corrompre la sauvegarde sur ma cartouche.
5. Inspirations pour l’expérimentation
Le premier opus d’une nouvelle série dans l’Univers Pokémon, la série “Légendes”, montre clairement de nouvelles tentatives de plaire aux joueurs et joueuses plus âgé(e)s. Légendes Pokémon : Arceus pose de nouvelles mécaniques sur la table, des mécaniques souvent demandées par les joueurs et joueuses au fil du temps.
La possibilité d’utiliser deux styles de combats différents a été apportée pour lisser un peu le côté “tour par tour” du jeu. Choisir entre deux allures pour le type de combat de votre Pokémon donne un autre rythme à l’une des principales mécaniques du jeu : la partie combat.
Ce changement de rythme est supporté par un raffinement plus global de l’exploration en général, ainsi que du système de capture. Être capable de capturer un Pokémon directement dans la nature sans devoir déclencher un combat est vraiment un nouveau départ et un autre pas vers une expérience encore plus libre, amenant l’envie d’une expérience de capture encore plus proche du réel.
6. Créer une mythologie
Les jeux (et mêmes l’univers) n’ont pas été pensés dès le début pour soutenir autant de générations et autant d’additions narratives au fil du temps. Même si nous pouvons voir Ho-Oh (2nde génération) faire une brève apparition dans le tout premier épisode du dessin animé, la mythologie a dû être adaptée pour correspondre à toutes ces arrivées de nouveaux Pokémons Légendaires.
La conception originelle tend à montrer un schéma régulier : Un Pokémon Mythique, des Légendaires puissants et un trio basé sur les éléments, le tout formant une équipe nette à la toute fin de chaque Pokédex, but ultime des complétionistes.
Au tout début, il y avait Mew, une légende qui, selon les gens, était considéré comme Le Premier Pokémon. Avec les trois oiseaux légendaires et Mewtwo, un clone de Mew venant d’un brin de son ADN et des activités humaines, la première génération installe une base très solide pour l’imagination collective. La deuxième génération présente ainsi Celebi, le duo Ho-Oh + Lugia et le trio de bêtes légendaires, confirmant ainsi la mécanique établie comme une habitude récurrente entre les générations.
Mais le rythme des sorties s’épaissit, les justifications et les liens entre les nouveaux légendaires doivent trouver des origines dans de nouveaux domaines, suivre de nouvelles inspirations et permettre au bestiaire de grandir encore davantage, laissant de côté la cohérence avec l‘ancien système. Par chance, ces nouveaux mythes sont accompagnés d’histoires et de réalisations qui viennent renforcer l’acceptation générale de leurs origines. Ces histoires apportent des Pokémons Mythiques, ainsi que des Légendaires, à chaque version indépendamment l’une de l’autre, et elles peuvent exister par elles-même autant que dans une vision plus globale.
Comme expliqué dans ce court essai pour grouper la Mythologie Pokémon sur Pokébip, essayer de donner une interprétation globale et unique à toutes les légendes Pokémon serait une erreur, puisque ces légendes sont basées sur les mythes de notre monde qui ne sont pas cohérents entre eux.
D’autres expérimentations ont été faites moins récemment -osons dire qu’il y en a dans toutes les générations- dans le but de renouveler des parties de l’expérience de la conception au global, comme les rencontres de Hordes, les Pokémons Barons, les Pokémons qui tiennent des objets, les combats à 2 ou 3 Pokémons, les choix stylistiques et la personnalisation (pour les Pokémons ou même les Pokéballs), la récolte de Noagrumes menant à de la spécialisation des Pokéballs et donc de la capture, et plus encore…
Contrairement à ce qui peut être entendu aux alentours de chaque sortie, il faut admettre que les gens responsables du développement de Pokémon proposent sans relâche et sur tous les fronts de la nouveauté à chaque génération, ou à travers les différentes générations. Cela montre aussi qu’il est difficile de maintenir un équilibre de travail clair entre “garder un jeu pour enfants” et “offrir aux joueurs et joueuses grandissants de nouveaux moyens d’apprécier le jeu à leur façon”.
Je pense, à titre personnel, que la série Légendes et les nouveaux jeux sortis cette année (Écarlate & Violet) portent un grand espoir et montrent de bons signes de renouvellement pour l’intégralité de la franchise, autant sur le gameplay que sur l’évolution de la maturité des histoires racontées.